La magicienne qui changeait les hommes en porcs
Circé est un personnage de l’Odyssée. Une magicienne qui vit sur une île visitée par Ulysse alors qu’il cherche le chemin de sa maison. Elle possède de nombreux pouvoirs, parmi lesquels celui de changer les marins qui accostent sur son île en animaux.
En particulier, en porcs. Elle en a peut-être assez que des marins débarquent sur son île et festoient avant de repartir, ou elle a besoin de provisions. Quelques soient ses motivations, son pouvoir a inspiré le personnage principal de ma nouvelle les Compagnons de Circé.
Voici le passage de l’Odyssée qui décrit ce pouvoir.
« Ô mes amis, j’entends une femme, déesse ou mortelle, chanter avec délices dans l’intérieur de ce palais en tissant une grande toile (les parois en retentissent); hâtons-nous donc d’appeler cette femme. »
Il dit, et tous mes compagnons élèvent la voix. Circé accourt aussitôt, ouvre ses portes brillantes, nous invite à la suivre, et tous mes guerriers entrent imprudemment dans le palais. Mais Euryloque, soupçonnant quelque embûche, reste seul sous les portiques. Circé les introduit, et les fait asseoir sur des trônes et sur des sièges ; puis elle mêle du fromage, de la farine d’orge et du miel nouveau avec du vin de Pramne, et elle ajoute ensuite à cette préparation des plantes funestes afin que mes compagnons perdent entièrement le souvenir de leur patrie. Quand elle leur a donné ce breuvage, qu’ils boivent avec avidité, elle les frappe de sa baguette et les enferme dans l’étable ; car mes guerriers étaient alors semblables à des porcs par la tête, la voix, les poils et le corps, mais leur esprit conserva toujours la même force. Malgré leurs gémissements, ils sont enfermés dans une étable. Circé leur jette pour nourriture des glands, des faines et des fruits du cornouiller, seuls mets que mangent les porcs qui couchent sur la terre.
L’Odyssée, traduction Eugène Bareste
C’est ensuite le dieu Hermès qui remet à Ulysse un antidote contre son poison une plante nommée μῶλυ en Grec ancien. Ulysse n’a qu’à la menacer de son épée pour qu’elle accepte de retransformer ses compagnons en humain. Fin un peu décevante.
Dans le Voyage de Chihiro, l’héroïne doit retrouver ses parents parmi un troupeau de cochons, ce qui est d’ailleurs une question piège. Pas d’aide divine ni de solution par l’épée.
Mais revenons à notre magicienne. Pourquoi a-t-elle inspirée de nombreux peintres, écrivains et cinéastes ?
- Son pouvoir : qui ne voudrait pas changer une horde d’hommes bruyants et bâfrant en charmants porcelets ?
- Le sort des marins : qui ne se jetterait pas sur un festin tel qu’elle leur propose ? Les parents de Chihiro ont le même réflexe, mais aussi les enfants pas sages dans Pinocchio, les compagnons d’Ulysse (encore !) en arrivant à l’île aux bœufs du soleil…
- Le fait qu’Ulysse soit revenu sur son île et y soit resté un an ? Certes, il avait oublié d’enterrer un de ses amis mort là-bas.
- Son don de voyance ? Mais pourquoi, a-t-elle envoyé Ulysse consulter un devin aux enfers si elle pouvait lui dire le futur elle-même ?
- Sa jalousie ? Selon Ovide, c’est elle qui a transformé Scylla en monstre marin.
Elle est sans doute un archétype puissant sur bien des aspects, pas encore tout à fait dépassé (le sera-t-elle jamais ?) et dont on entendra encore parler. Une série télévisée est d’ailleurs en production : on verra bien.